“Les défis actuels demandent des approches centrées sur l’humain”

Responsable du groupe de recherche Informatique sociale, Daniel Gatica-Perez a contribué à la vision de l’Idiap d’une intelligence artificielle au service de la société depuis 2002. L’an passé, il a reçu deux récompenses en reconnaissance de son impact sur le long terme à l’interface entre technologie et société.

De nos jours, les smartphones sont des outils scientifiques répandus pour récolter et analyser des données du terrain. En 2002, lorsque Daniel Gatica-Perez rejoint l’Idiap après un doctorat aux Etats-Unis, le premier iPhone n’allait être commercialisé que quelques années plus tard. Sa carrière à l’Idiap est intimement liée aux révolutions digitales et mobiles qui ont transformé nos sociétés. Daniel Gatica-Perez est également professeur à l’EPFL depuis 2014 et directeur du programme de master en humanité digitales depuis 2018. Ses publications sont parmi les plus citées dans son domaine. Nous l’avons rencontré pour discuter de notre lien, en tant que société et sur le long terme, avec les technologies mobiles omniprésentes.

Pourquoi avoir choisi de venir à l’Idiap aux débuts des années 2000 ?

J’ai rejoint l’institut dans le cadre du Pôle de recherche national « Gestion interactive et multimodale de systèmes d’information », aussi appelé IM2. C’était un projet crucial pour le développement de l’Idiap. IM2 a permis à l’institut de fédérer autour d’une vision intégrative : une salle de conférence avec de multiples capteurs qui réunissait des technologies telles que la reconnaissance vocale, la vision par ordinateur et l’extraction d’information de textes. A l’époque, j’étais intéressé par l’étude de petits groupes de personnes travaillant ensemble grâce à l’aide de la technologie. Ce travail était une opportunité pour faire évoluer les approches impliquant les gens et la technologie dans une perspective centrée sur l’humain.

De ce point de vue, comment les appareils mobiles ont changé votre travail ?

Les débuts des smartphones constituaient une opportunité pour sortir du labo et de conduire des recherches sur le terrain. Comprendre comment les téléphones sont utilisés dans la vie quotidienne est important. Il y a 10 ans, en collaboration avec Nokia, nous avons pu gérer et partager une base de données mobiles, utilisée depuis par des centaines de chercheurs dans le monde pour des travaux académiques. Ce sujet est toujours d’actualité. Par exemple, de nombreuses recherches dans le domaine de la santé, notamment mentale, sont effectuées grâce des plateformes ou des apps disponibles via des smartphones.

Cette opportunité a aussi créé des risques en lien avec la vie privée, n’est-ce pas ?

Tout à fait. La vie privée est un défi fondamental de l’informatique centrée sur l’humain, mais, aujourd’hui, la recherche va au-delà. Un autre élément clé est la diversité. Lorsque la technologie ne sert et ne reflète que les intérêts de certains groupes de la société, il existe un risque de reproduire et d’accentuer les divisions existantes. Une partie de ces risques peut être réduite en concevant les technologies pour et avec les gens. A ce titre, les smartphones sont des outils précieux pour mener des recherches participatives impliquant les citoyens.

Les technologies mobiles et sociales ont donné une voix aux populations et nous permettent de nous impliquer dans des sujets d’intérêt commun tels que la santé ou l’urbanisme. C’est particulièrement le cas lorsque l’on travaille dans l’hémisphère sud. Il faut alors aller au-delà de l’engouement actuel pour l’IA et composer avec le fait qu’il n’existe qu’une quantité limitée de données locales, contextualisées et valides pour entraîner les modèles d’apprentissage automatique. Par exemple, pour les systèmes de reconnaissance visuelle, plus de la moitié des données des base d’images les plus populaires utilisées pour ces systèmes ne proviennent que de deux pays : USA et Royaume-Uni. Nous devons systématiquement augmenter la diversité de nos bases de données.

Les GAFAM jouent un rôle majeur dans ce domaine, y a-t-il une place pour que la recherche publique façonne ces technologies de façon plus inclusive ?

Oui, je crois que nous, en tant que chercheurs, avons un rôle à jouer. La recherche académique ne peut pas sans cesse rivaliser avec les GAFAM, qui, pour donner un exemple, ont des ressources informatiques quasiment illimitées. D’autre part, la recherche informatique avec un intérêt sociétal poursuit ses propres buts. Il faut être conscient que pour les grands défis, tels que la santé publique ou le changement climatique, les solutions toutes faites n’existent pas et les solutions ne seront pas uniquement technologiques. Il y a également besoin de comprendre autant les conditions sociales que les expériences individuelles et, au final, nous devons impliquer les gens dans un tel processus.

Nous devrions également avoir pour but des approches multidisciplinaire et centrées sur l’humain. Par exemple, dans le cadre du projet SenseCityVity, lancé au milieu des années 2010, nous avons travaillé avec des partenaires locaux au Mexique. Nous avons conçu un challenge urbain et invité les participants à utiliser leur smartphone pour récolter des données multimédia, afin de cartographier et documenter les problèmes urbains identifiés comme pertinents par les citoyens. Plus tard, grâce à son succès, le projet a été étendu à d’autres pays. En Suisse, nous avons créé la plateforme mobile « civique », qui a permis de réaliser plusieurs projets locaux et, plus récemment, le projet Corona Citizen Science, durant lequel les gens ont partagé leur expérience pendant la pandémie de Covid en 2020 en Suisse. La recherche participative et multidisciplinaire est nécessaire pour répondre à tous ces défis et l’informatique centrée sur l’humain peut y contribuer.


Plus d’informations

- Groupe de recherche informatique sociale
- Projet SenseCityVity
- Projet Corona Citizen Science